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Samuel Dudouit : « Alain Jouffoy Passe sans porte » ou la clef de l’oeuvre.

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dudouit-187x300   Il faut saluer ce bel essai de Samuel Dudouit à l’endroit de cette poésie contemporaine, la nôtre pour mieux dire, qui ne nous semble jamais plus lointaine et étrange que quand elle nous est d’autant plus proche dans le temps et dans l’espace. Il est toujours périlleux de vouloir présenter la vie d’un homme, car ce qui fait le centre de son existence nous échappe, comme à lui-même, sans cesse. Le péril en question parvient à son paroxysme lorsqu’il s’agit de celle du poète, c’est-à-dire celle d’un être ouvert à tous les vents de l’existence et qui, se laissant traverser par toutes les expériences dont l’homme  est capable, traverse lui-même, en funambule virtuose, sa vie sur le fil de l’être ou du monde. C’est à saisir cette traversée, c’est à comprendre ce mouvement inégal et comme illégal de l’existence poétique ainsi incarnée par Alain Jouffroy que nous invite Samuel Dudouit dans cet essai qui présente, indiscernablement, l’homme et l’œuvre, l’homme à l’œuvre et l’œuvre fait homme.

Si rien n’est simple dans le récit que fait Samuel Dudouit de la vie et de la pensée de ce poète, c’est que précisément la vie et la pensée sont si entremêlées que l’on ne parvient plus à faire le départ de ce qui relève proprement de l’une ou de l’autre. Ce n’est pas tant que la frontière se soit effacée, mais c’est qu’elle n’a jamais existé et le poète, sans doute, le sachant mieux que tous, nous l’apprend par son œuvre et par sa vie. Il est remarquable, à cet égard, que l’œuvre apparemment cardinale de Jouffroy s’intitule « Le roman vécu ». Qu’il nous soit permis de lire ce titre comme la traduction contractée et éclairante, comme une manière de réminiscence éclair de la fameuse parole de Hölderlin : « l’homme habite en poète sur cette terre ». Le poète, en effet, est celui qui vit la fiction et qui fictionne le réel et c’est pourquoi Alain Jouffroy, tout en prenant toujours parti, est toujours resté à la marge des courants, des partis qui, nécessairement, structurellement, ont vocation à s’enliser dans des catégorisations oublieuses du mouvement qui les a fait naître. Mais le poète n’oublie pas. Aussi, c’est sa fidélité à soi et au monde tel qu’il est, qui a exigé d’Alain Jouffroy son exil ou son retrait de la scène de son époque, et de là vient son confinement dans l’ombre de l’histoire telle que, autour de lui – lui qui fut pourtant le témoin privilégié et critique de son époque – elle fut écrite en lettres de lumière, entendez de renommée, par d’autres et pour d’autres. Mais, les paillettes du moment ne sont que les cendres déjà froides d’une fête consumée et le poète le sait, lui, qui rêve de l’or du sens qu’il sait pouvoir trouver, au cœur de l’instant, dans l’infime et l’anodin ou bien dans cette éternité des idéaux qui scintillent comme des étoiles dans la nuit de notre intelligence.

Voilà pourquoi le poète, dont la muse empêche qu’il soit rivé à la mode et esclave d’un monde, ne s’arrête jamais, là où la mort, elle-même, celle d’Alain Jouffroy dernièrement survenue, n’est rien d’autre qu’une porte claquée, bien plus sur nous que sur lui, nous laissant, désormais, des livres à ouvrir et le laissant, lui, de l’autre côté, au plus près du mystère, et enfin ouvert à l’Ouverture même comme à cette grande traversée de l’autre vie, vers l’autre rive là où nous attend la vie, enfin, la vraie peut être. Remercions alors Samuel Dudouit de nous avoir donné, par son livre, la clef de ces portes, de ces portes fenêtres que sont les livres de Jouffroy, comme autant d’ouvertures sur le réel, désormais toutes accessibles, toutes offertes et toutes ouvertes. Remercions enfin les éditions du Littéraire de nous faire la grâce de publier ces ouvrages qui, certes, peuvent paraître exigeants aux abouliques de l’intellect, mais qui agissent sur nos esprits comme un grand vent salutaire balayant les eaux stagnantes de nos pensées pour en chasser les miasmes de l’opinion et les confettis de la médiocrité.

Hervé Bonnet

Samuel Dudouit, Alain Jouffroy Passe sans porte, Les Editions du Littéraire, 25 euros.


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